Famille Lazar

Ion Lazar est né en 1968 à Craiova. Après la chute du régime de Ceausescu, il quitte la Roumanie avec son frère en 1991 pour partir en Allemagne et reçoit l’asile politique à Trier. En 1992, ils sont expulsés et retournent en Roumanie. En 1995, ils partent en Italie, mais quittent le pays rapidement parce que les conditions de vie sont « misérables ». En 1996, Ion arrive à Lyon avec l’asile politique. Peu après, il est obligé de quitter la France pour la Belgique. En 1998, il retourne en Roumanie. Il rencontre sa femme Elena en 1999 et deux ans plus tard, leur fils David naît. En 2010, ils partent pour la France. La famille intègre le programme en janvier 2013. En septembre, Elena obtient le DELF (Diplôme d’études en langue française). Depuis novembre, elle travaille en tant que femme de chambre dans un hôtel à Lyon. Aujourd’hui, Ion et Elena habitent avec leurs deux enfants à Oullins.
Famille Lazar - Photo de Mara Klein
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Le voyage


Écoutez.

I. Lazar : Le voyage, c’est un choix. A cause du régime en Roumanie. Je suis obligé de vous dire ça – en Roumanie ça existe le racisme, les différences. Les Roumains font clairement la différence entre eux et les Tsiganes.

E. Dobre : Mais nous ne sommes pas obligés de rester. Même si notre fille est née ici, elle n’est pas obligée de grandir là, d’y rester toute sa vie. C’est pour ça que nous sommes voyageurs : nous avons choisi ici, les autres ont choisi l’Italie.

Nous ne voyageons pas par plaisir. Juste pour trouver une place, un pays qui va respecter les droits. Par exemple, je demande du travail. La France me respecte maintenant dans ce programme, elle va me donner du travail. C’est ça. Ils cherchent du respect. Parce que nous sommes le mouton noir partout.

Si la France prend tous mes droits et je ne peux pas travailler, il n’y a pas de ressources, je vais faire quoi ? Si demain je veux quelque chose pour manger – je suis obligée de voler. Si je fais ça un mois, deux mois, trois mois après je dis non, c’est pas bien ici, je veux partir dans un autre pays – c’est pour ça qu’ils voyagent tout le temps. Il n’y a pas de respect pour les Tsiganes. Si on ouvre tous les droits pour les Tsiganes, tous les droits ça veut dire les enfants à l’école, les allocations familiales, pouvoir travailler, le chômage, quelque chose – oui, peut-être ça va tout changer.

La Roumanie


Écoutez.


Dans l’époque de Ceausescu, nous étions très très respectés. Ça n’existait pas la différence entre Roumains et entre nous, les Tsiganes. Parce que nous avons travaillés tous, c’est l’Etat roumain qui nous a obligé de travailler. Après... ça va changer en 1985 parce que Ceausescu a commencé de faire des économies, couper la nourriture, couper les salaires. Il a commencé à terroriser tout le monde. Après nous avons pris la décision de quitter la Roumanie. Nous sommes partis la première fois en Allemagne, après en Italie, en France.

Nous sommes partis parce qu’il n’y avait pas de boulot, il y avait rien. Moi j’ai dit on va faire quoi ? J’ai pris la vie dans les mains… on va partir. C’est difficile d’arriver à prendre une décision comme ça. Parce que quand tu prends une décision pour partir tu vas… tu vas pas oublier, mais c’est comme un album photo. Je pense à mes amis, aux autres familles que je connais, à mon village – c’est difficile.

Les autres


Écoutez.


Ce que nous les Roms avons en commun, c’est la pauvreté. La pauvreté, tous. Quand je vois quelqu’un, il a beaucoup d’enfants, il n’a pas d’argent, c’est le cœur qui dit ohlala, moi aussi j’ai été dans ces situations. C’est la pauvreté partout.

Un grand problème, ce que ce n’est pas une unité entre eux. Chacun est pour lui-même. Ils sont passifs. Il n’y a pas quelqu’un pour lutter pour les droits, pour gagner les droits, pour faire une unité.

Ça n’existe pas parce que les Tsiganes ne savent pas tous lire, pour monter à la fac. Ils ne connaissent pas leurs droits – personne ne donne de l’importance aux Tsiganes. C’est pour ça qu’ils partent partout pour chercher un peu de respect, un peu d’attention. Et même s’il pense qu’il a des droits, il ne peut pas lutter tout seul. Ici, je crois à mon droit. Mais je ne peux pas le prendre. Je n’ai pas de force.

Moi par exemple, je veux lutter – j’ai pris cette décision. Nous avons déjà une association qui s’occupe du droit des Roms, Caravana romilor. Notre priorité, c’est faire une unité entre les Tsiganes, de donner la priorité à la scolarisation des enfants, changer la mentalité, rentrer dans la société. Il faut ça, mais nous ne sommes pas compris, ils ne veulent pas comprendre.

Ça n’intéresse pas beaucoup de Tsiganes parce que dans la vie d’une famille tsigane, il y a beaucoup de problèmes. Ils doivent trouver à manger, pour les enfants, ou ils sont malades, ils doivent aller à l’hôpital. Ils ne trouvent pas le temps pour autre chose.

Ils ont perdu confiance, et ici ils ont perdu leur espérance. « Mais qu’est-ce que vous pouvez faire pour nous ? Nous sommes à la rue. Vous n’avez pas le pouvoir pour faire quelque chose pour nous. » Et ils ont raison. Nous sommes refusés partout.

Andatu


Écoutez.


L’entrée dans le programme, c’est mon rêve réalisé, je peux dire comme ça entre guillemets. Pendant deux ans, j’ai frappé à toutes les portes pour ouvrir quelque chose, maintenant c’est fini.

Andatu a changé toute notre vie – ça a déjà changé la mentalité. Les Tsiganes voient qu’on les entend.

Ils vont entrer en logement, travailler, gagner leur vie pour les enfants, les enfants vont être scolarisés...

C’est une vraie intégration.

Ça va changer toute la mentalité. Et aussi les enfants ils vont grandir avec une autre mentalité. Pas comme des voleurs, en faisant la manche. Ça va changer toute la vie pour un Tsigane. Pour une vraie intégration, il faut donner le droit de travailler. C’est la seule solution pour arrêter les voleurs et la manche.

Le travail


Écoutez.


Le boulot le plus difficile pour moi était de faire la manche. J’avais très honte, la morale est tombée toute suite. … Avec le vol, il gagne toute suite de l’argent ou ce qu’il veut. Quand il va travailler pour 10 euros ou 20 euros par jour, il va dire oooh, moi je fais 20 euros dans une heure, deux heures, mais quand je travaille, je me lève tôt. Ils sont habitués de faire toute suite de l’argent. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas travailler.

Ils mettent tout le monde dans une marmite. Mais c’est pas ça. C’est pas ça. Pas tout le monde veut voler, pas tout le monde veut faire la manche. Je veux travailler, j’ai honte. Mais je suis obligée de faire la manche pour manger. Pas pour moi, pour mes enfants. Si je trouve rien je suis obligée. Quand tu me regardes quand je fais la manche tu dis toute suite non, allez, va dans une autre pays… non, c’est pas juste ça. Donnes-moi quelque chose. Si je me débrouille pas tu as tout le droit pour me dire va, allez. Mais pas toute suite comme ça… si tu m’as pas donné une chance.

L'arrivée en France


Écoutez.


La France – Je m’attendais à… je pensais que je vais vivre mieux. Que ça va finir tous les problèmes. Mais c’était pas comme ça. C’était plus, beaucoup plus.

Nous sommes venus avec ces aspirations. Tout le temps nous avons pensé nous allons passer ça ça ça, après on va voir.
Au bout d’un an et demi, notre situation en France s’est améliorée parce que nous nous sommes intégrés tout seul. Par exemple nous avons appris comment on peut travailler même si nous n’avons pas le droit. Nous avions une auto-entreprise, pour travailler, pour nous débrouiller tous seuls.

Le système


La Roumanie et la France, c’est très différent. En France ils demandent beaucoup de papiers, ils ont beaucoup de règles. Par exemple pour ouvrir une entreprise, pour chercher du travail, tu as besoin de papiers, tous les patrons, ils demandent des papiers, il ne peut pas te prendre comme ça, au noir. En Roumanie non. Si tu connais quelque chose tu demandes chez le patron je sais faire ça ça ça. Mais le problème c’est qu’il n’y a pas de place.

Traditions


Écoutez.


Ça va vite changer pour nos enfants. Ils ont déjà grandi ici en France. Ça change la tradition, chaque année. Notre petite fille est née ici, elle comprend la langue française.
Notre tradition est dans notre sang. Mais nous avons le droit d’oublier des traditions, des traditions qui ne sont pas bons. Par exemple, chez les Tsiganes, on ne peut pas s’embrasser devant les parents.

C’est la honte. Et si la femme porte des pantalons, c’est la honte. Mais ici, je peux porter des pantalons, parce qu’il n’y a pas beaucoup de Tsiganes. Si je veux travailler c’est normal, si je veux m’intégrer comme un Français, comme tout le monde.

Perspectives


Écoutez.


Après Andatu, on va se débrouiller tout seul. On va apprendre maintenant qu’est-ce qu’on peut faire, on part à l’école et on va faire des examens pour avoir nos diplômes. Après avec ce diplôme peut-être nous pouvons travailler, si on trouve. Après si on va travailler, on n’a pas besoin d’Andatu. Par exemple, si je démissionne de mon boulot, je peux aller toute seule au Pôle emploi pour demander du travail, pour faire un CV, tout ça. Je crois que Andatu c’est comme un professeur pour nous. Il m’explique tout ce qu’on peut faire et nous on fait tout pour apprendre ce qu’on fait quand s’arrête le programme, pour se débrouiller tout seul.

Pour l’avenir, je pense que David va finir son école. Il va avoir un bon travail, il va se débrouiller tout seul. Chez nous les Tsiganes les enfants habitent avec les parents jusqu'à la mort des parents. C’est une obligation dans cette tradition – je ne veux pas ça. Je veux habiter dans la même ville que lui. Je veux voir mes petits enfants, faire des promenades avec eux, mais je ne veux pas rester dans la même maison.
Famille Lazat - photo de Mara KleinFamille Lazat - photo de Mara KleinFamille Lazat - photo de Mara Klein
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