Machine à tailler les limes
vue par Jean-Louis Étienne

Cette machine à tailler les limes a retenu mon attention, d'abord pour une raison personnelle. La lime est le premier outil que j'ai reçu dans mon trousseau d’apprenti au collège technique de Mazamet (Tarn) où j’ai fait une formation d’ajusteur après le Certificat d’études primaire. Nous avions trois limes : la douce, la bâtarde et l’allemande. La première année était consacrée à l’apprentissage du geste ; à partir d’un morceau de métal brut nous devions réaliser une pièce de précision. Cette formation d’ajusteur a été un moment charnière dans ma vie. J’en ai retiré un regain de confiance, davantage d’intérêt pour l’école et le goût d’apprendre. Grâce à la bienveillance de certains professeurs j’ai été orienté vers le bac technique et puis j’ai fait des études de médecine.

Partir en expédition, explorer le monde...

Des années plus tard, alors que je m'ennuyais à écouter des cours magistraux sur les bancs de la faculté de médecine, la nécessité de gagner ma vie et le besoin d'implication dans l'existence m’ont conduit à faire des aides-opératoires, les deux autres mains qui accompagnent le chirurgien. Dès les premières interventions, ce fut une révélation, surtout en chirurgie orthopédique où bien des outils sont similaires à ceux de l'ajusteur et du menuisier. Après l'internat, j'ai mis mes compétences de médecin au service d’un rêve : partir en expédition, explorer le monde, d'autres passions qui ont pris peu à peu le pas sur la médecine.

La machine à tailler des limes, un outil en somme très rustique, est paradoxalement une œuvre d’art...

Au-delà d'une raison personnelle, c’est l'élégance de la mécanique qui a guidé mon choix. Cette machine à tailler des limes, un outil en somme très rustique, est paradoxalement une œuvre d’art. Elle illustre la tradition manufacturière d'une époque où l'efficacité et la précision mécanique se conjuguaient avec le souci du bel ouvrage. Le Musée des arts et métiers est riche de ces œuvres où la pensée de l'ingénieur était magnifiée par les mains agiles de l’artisan qui lui donnait corps.

Je milite pour la valorisation de l’intelligence manuelle...

Aujourd’hui la main de l'homme s'efface de plus en plus, les robots programmés reprennent le relais avec une efficacité, une rapidité et une précision sans conteste. Mais l'homme n’est pas pour autant amputé de ses mains que l'on met en jachère. Mon parcours de vie a débuté dans la section ajustage au collège technique, et je ne suis pas le seul à avoir bénéficié de cette voie pour trouver mon chemin. Aussi je milite pour la valorisation de l'intelligence manuelle. Le geste bien fait est gratifiant, il structure la pensée. C’est une autre voie d’épanouissement.