Méditer sur l'avenir

Et toi, tu y crois ?

15 avril 2020

« Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie ». Le 15 février dernier, il y a tout juste deux mois même si cela nous paraît aujourd'hui être une éternité, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) tirait déjà la sonnette d’alarme avec ce néologisme prononcé lors de la conférence de sécurité de Munich. Alors que le coronavirus restait pour beaucoup une simple affaire chinoise, sur plus de 66 000 cas seulement 505 étant en effet d

Et toi, tu y crois ?

fakenews« Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie ». Le 15 février dernier, il y a tout juste deux mois même si cela nous paraît aujourd'hui être une éternité, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) tirait déjà la sonnette d’alarme avec ce néologisme prononcé lors de la conférence de sécurité de Munich. Alors que le coronavirus restait pour beaucoup une simple affaire chinoise, sur plus de 66 000 cas seulement 505 étant en effet dénombrés hors de l’Empire du milieu, Tedros Adhanom Ghebreyesus ajoutait que « les informations fausses se propagent plus vite et plus facilement que ce virus, et elles sont tout aussi dangereuses ».

Depuis, l’épidémie touche toutes les régions d’un monde confiné sur lui-même et poursuit son inéluctable développement avec plus de deux millions de cas recensés et 127 587 morts. Et, parallèlement à cette crise sanitaire dramatique, c’est une véritable « pandémie d’infox », une vague déferlante de rumeurs, une bourrasque de fausses informations, qui s'est abattue sur les réseaux sociaux comme dans les forums et, plus généralement, sur la Toile et autres médias.

Ici et là, apparaissent en effet quotidiennement des conseils de prévention, voire de guérison, aussi farfelus que dangereux pour certains. Boire du thé au fenouil, se rincer fréquemment le nez et la bouche avec de l’eau salée, « désinfecter » à l’huile de sésame tous les objets avant de s’en saisir, se pulvériser le corps d’eau de javel, s’exposer au soleil ou à des températures supérieures à 25°... seraient ainsi autant de bonnes recettes permettant de se prémunir d’une infection par le virus. Autant de faux remèdes on s’en doute, mais vulgarisés par des posts, articles et vidéos dont l’audience et la viralité dépassent de loin ceux de l’OMS, du ministère de la Santé ou des médias spécialisés dans la vérification des faits qui viendront les contredire un instant trop tard. Car, et c’est là certainement l’une des premières caractéristiques d’une fausse information : elle se propage beaucoup plus rapidement, en moyenne six fois plus rapidement que les vraies, et avec beaucoup plus de force que les autres informations.

Ailleurs, flirtant entre fausse information et théorie du complot, ce sont les spéculations sur les origines et les moyens de diffusion de cette pandémie qui fleurissent. Pour certains, ce serait des soldats américains qui auraient introduit le coronavirus à Wuhan lors des Jeux mondiaux militaires ; pour d’autres le virus serait apparu suite à notre exposition au nouveau champ électromagnétique de la 5G, dernière génération de réseaux sans fil, puis se serait propagé en suivant les divagations de ses ondes ; une troisième théorie avance elle que le Covid-19 aurait été conçu intentionnellement en laboratoire par une industrie pharmaceutique qui, dans les versions les plus cyniques, disposerait déjà du vaccin mais attendrait que la situation sanitaire légitime son prix forcément astronomique. Cette dernière affirmation pourrait prêter à sourire si une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch n’avait révélé, le 28 mars, que plus d’un quart de la population française était convaincu que le Covid-19 était bien une création humaine. Malgré les démentis, notamment de l’Institut Pasteur, malgré le séquençage génétique du Covid-19, révélant sa nature biologique, malgré l’unanimité scientifique sur les voies de transmission... C’est là certainement l’une des autres caractéristiques d’une fausse information : parce qu’elle emprunte certains de ces éléments à la réalité et reste dans les limites d’un possible, même démentit par les faits, la raison et la science, elle conservera longtemps son audience, certaines pouvant même renaître quelques temps plus tard.

Alors, comment lutter contre ce désordre informationnel inédit caractérisé autant par une surabondance de fausses nouvelles que par un trafic intense sur les réseaux sociaux ? Dans les limites de notre champ d’expertise et d’intervention, voici les trois propositions que nous soumettons à la discussion :

  • former, dès le plus jeune âge, à distinguer les sources d’information crédibles, les faits des opinions, ce qui n’est le cas actuellement que de moins de 10% des élèves selon la dernière enquête Pisa, et à développer une lecture critique des médias ;
  • répondre aux impératifs de partage d’une culture scientifique et technique commune à l’heure où l’obscurantisme accroît sa visibilité, où la manipulation de l’information, sinon la désinformation, se banalise en facilitant son accès, au plus grand nombre et par tous les moyens ;
  • redonner la parole aux scientifiques et mieux valoriser l’importance et la légitimité de leurs apports dans le débat démocratique, et plus largement dans la compréhension de notre vie quotidienne et du monde qui nous entoure.

Ces propositions qui demandent bien entendu à être détaillées, discutées, amendées... doivent nourrir un nécessaire débat où chacune et chacun à son mot à dire. Comme Divina Frau-Meigs, sociologue des médias, et François Garnier, réalisateur et enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, lors d’une table-ronde autour de la réalité virtuelle et des fake news organisée dans le cadre de la dernière Nuit des idées au musée des Arts et Métiers. Ou Pierre Haski, journaliste et président de Reporters sans frontières, lorsqu’à l’occasion d’un précédent Forum Europe du Conservatoire il évoquait le nouveau défi que représentaient l’arrivée massive des fake news et de la désinformation face à la liberté d’informer.

Ariane Batou-To Van & Yvan Boude

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