Les biofuels dans l’aviation civile

L’impact des avions de ligne, par le biais des émissions chimiques majoritaires (CO2, H2O) et minoritaires (NOx, particules, CO…) ainsi que les nuisances sonores sont autant de problématiques que les industriels de l’aviation s’efforcent de résoudre. Si le transport aérien représente seulement 2,5% des émissions mondiales de CO2 en 2015, l’impact de l’aviation sur l’environnement est, en valeur relative, supérieur à ses émissions de gaz à effet de serre car la majorité des émissions en aéronautique intervient à haute altitude et elles influent directement sur la chimie atmosphérique (NOx, particules… ).


Le trafic de l’aviation commerciale qui est le secteur le plus consommateur en Jet Fuel connaît une croissance annuelle moyenne soutenue avoisinant les 5%. Compte tenu des capacités actuelles des raffineries, il est techniquement envisageable de porter à 10% et au-delà la proportion de Jet Fuel issue du pétrole. Le transport aérien représentait 2,4 milliards de passagers en 2010 et devrait s’élever à 16 milliards en 2050. Malgré l’attention croissante portée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports, la complexité technologique, les contraintes réglementaires et les impératifs économiques qui s’imposent aux exploitants ne sont pas aisées à résoudre. Il n’en demeure pas moins un domaine stratégique et économique de premier ordre puisqu’il génère actuellement 3,5% du PIB mondial. La réduction des émissions de gaz à effet de serre a été inscrite à l’agenda politique dès 2009 à Copenhague où l’Association internationale des compagnies aériennes (IATA) a présenté un plan de réduction des émissions carboniques en trois points.
  • La réduction de 1,5% de la consommation annuelle de carburant, jusqu’en 2020 ;
  • la stabilisation des émissions carboniques dans les années qui suivent ;
  • dès 2050, la baisse de 50% des émissions par rapport aux niveaux de 2005.

De plus, depuis 2012, l’Union Européenne a décidé d’intégrer le secteur du transport aérien européen au sein du système communautaire d’échange de quotas d’émission.

Les carburants verts dans le transport aérien

La recherche de carburants aéronautiques de substitution est ancienne, mais a connu un regain d’intérêt à partir de 2005, tout d’abord dans le domaine militaire (US Air Force) puis pour l’aviation commerciale. À la veille de la 21e Conférence des parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP21/CMP11) à Paris, il est nécessaire de s’interroger sur la stratégie des biocarburants pour l’aviation afin de vérifier s’ils sont fondés ou non.
 
Les biocarburants sont des combustibles issus des matières végétales ou animales non fossiles, encore appelées biomasse. Des objectifs ambitieux en termes d’incorporation de biocarburants et de réduction des émissions de GES sont d’actualité. Deux principaux attraits aux biocarburants sont à rappeler. Le premier est la teneur souvent réduite en élément carbone et de soufre par rapport à leurs homologues d’origine fossile et parfois sur oxygénés, ce qui réduit aussi les émissions de particules. D’autre part, lors de sa croissance, la biomasse capte du CO2 pour grandir et en faire du carbone par le processus de photosynthèse, ce qui en fait une énergie renouvelable.

Il est par contre nécessaire de prendre en compte l’échelle spatio-temporelle du cycle du carbone car l’aéronautique couvre l’ensemble des échelles spatiales et temporelles. Le voisinage des aéroports se situe plutôt dans la micro ou la méso échelle alors qu’en croisière, la pollution se place sur une macro échelle voire à l’échelle du climat. Il faut aussi mentionner les inconvénients de nombreux biocarburants qui ont le plus souvent un pouvoir énergétique moindre que les combustibles usuels. De plus, il convient de conduire pour chaque bio énergie envisagée une analyse économique et environnementale objective de son cycle de vie fonctionnelle.

Les biocarburants prometteurs

Différents choix se posent sur le type de matière première a utiliser afin de produire des bio kérosènes. En ce qui concerne les agro carburants développés pour le routier, la communauté aéronautique a fait le constat qu’ils ne conviennent pas : l’éthanol possède un pouvoir calorifique de 35% inférieur à celui du Jet Fuel, ce qui diminuerait de façon inadmissible le rayon d’action des avions. Le biodiesel a quant à lui des propriétés à froid insatisfaisantes et il se figerait aux altitudes usuelles de vol.

La recherche aéronautique voulant éviter toute compétition avec la production d’aliments s’oriente entre autres vers les plantes oléagineuses suivantes :
  • Jatropha Curcas (pourghère, pignon d’Inde) : pays subsahariens d’Afrique, Asie, pays semi-arides.
  • Camelina Sativa (cameline) : Amérique du Nord, Europe, pays tempérés.
  • Pongamia Pinnata : Inde, Afrique de l’Est, Australie, Chine.
  • Salicornia Bigelovii (salicorne) : halophyte, terrains côtiers salés.

Afin de vérifier si les potentialités placées dans les biocarburants sont fondées ou non dans le secteur de l’aéronautique, il faut impérativement conduire une analyse détaillée du cycle de vie du berceau à la tombe. Une difficulté majeure résulte du fait qu'elle dépend de très nombreux paramètres. Selon que l'on considère uniquement les émissions de CO2 ou les émissions de CO2 et celles des autres gaz à effet de serre, les résultats peuvent passer du positif au négatif.  De plus, chaque organisme ou société a sa méthodologie. Il convient donc d’être très attentif à l’analyse fonctionnelle du procédé.

Du coté des motoristes

Il n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour de changer significativement quoi que ce soit afin de s’adapter au bio kérosène. La durée de vie d’un avion moderne peut atteindre quarante ans et le développement d’un nouvel avion de transport long courrier nécessite un investissement d’une dizaine de milliards d’euros, ce qui ne milite pas pour le développement d’avions adaptés à un carburant exotique. En effet, il est évident qu’un avion a besoin de carburant où qu’il soit sur terre et qu’il faudrait développer un réseau mondial d’avitaillement en bio kérosène avant de modifier un moteur.

Les constructeurs préfèrent privilégier les propriétés thermo physiques à l'aide de normes que doivent avoir les carburants avionnables. Pour exemple, le Jet Fuel conventionnel est l’une des fractions de distillation du pétrole entre l’essence et le Gazole, c’est un mélange de nombreuses espèces chimiques, paraffines et aromatiques. Les futurs carburants aéronautiques seront du type « drop-in », ce qui signifie qu’ils seront pratiquement indiscernables du Jet Fuel et susceptibles d’être mélangés à ce dernier en proportions variées, ce qui limitera au maximum les modifications à apporter aux avions existants ou en développement.

Plusieurs vols ont eu lieu avec des avions de ligne en vol d'essai ou commercial. Les mélanges vont jusqu’à 50% de bio kérosène. Les conclusions de ces essais sont encourageantes. Aucun problème n’a été constaté par les pilotes, de légers gains ont été enregistrés en terme de réduction de la consommation de l'ordre de 2%, une tenue à froid augmentée à -60°C et une réduction des émissions de particules.
Aurélien Bidot, pilote professionnel d'avion, et Georges Descombes, professeur des universités au Cnam